La vigueur du dollar pourrait être remise en question par la politique budgétaire

Le président Trump ne cesse d’invectiver la Reserve Fédérale pour qu’elle assouplisse de manière agressive sa politique monétaire. Il se plaint, par ailleurs, que la Chine et l'Europe profitent d'un avantage grâce a leur monnaie faible. Et, début août, Washington a désigné la Chine comme pays manipulateur de sa monnaie. La courbe de taux américaine, toujours plus basse et plus plate, signale toutefois les doutes qu’un assouplissement monétaire parvienne à stimuler l'économie. Une preuve supplémentaire de ces craintes réside dans la force concomitante du dollar américain et de l’or.

Frustré par la banque centrale, le président Trump a déjà laissé entendre qu'il serait peut-être obligé de prendre les choses en main et de donner un nouvel élan budgétaire, malgré une dette publique déjà considérable. Plusieurs économistes mainstream suggèrent même plus d'assouplissement budgétaire pour lutter contre le prochain ralentissement, affirmant que le niveau exceptionnellement bas des taux d'intérêt non seulement remet en question l'efficacité d’une relance monétaire mais ouvre également un espace budgétaire plus important.

Les partisans de la « théorie monétaire moderne » vont un plus loin dans cet argumentaire en soulignant que, puisque le gouvernement et la banque centrale partagent in fine le même bilan, l’obsession du niveau de la dette publique est mal placée, le gouvernement pouvant simplement financer l'expansion budgétaire via le bilan de la banque centrale, soit par découvert direct, soit par achat d'obligations d'État par la banque centrale, et n'est donc pas obligé de lever des fonds par le seul recours à  des taxes ou des émissions de dettes.

Les effets traditionnels d'éviction par le biais de taux d'intérêt plus élevés, ou d'équivalence ricardienne lorsque les consommateurs réduisent leurs dépenses en prévision d'impôts futurs plus élevés, sont ainsi parfaitement éliminées, permettant à l'expansion budgétaire de relancer la demande jusqu'au retour à la pleine capacité de l'économie et la reprise des pressions inflationnistes. A ce moment, les gouvernements pourront, selon cette théorie, simplement réduire les dépenses ou augmenter les impôts, et / ou les banques centrales pourront simplement resserrer les conditions de crédit en drainant les liquidités. L’histoire montre qu’il existe plusieurs réserves à cette logique dans le monde réel, mais poursuivons l’expérience de pensée et faisons un zoom avant sur le canal cambiaire qui est moins fréquemment examiné.

Supposons, à titre d'exemple, que les États-Unis se lancent dans une importante relance budgétaire combinée à un assouplissement de la politique monétaire, de sorte que la Réserve Fédérale compense totalement, du moins au début, les effets d'éviction traditionnels sur les taux d'intérêt domestiques en valeur nominale. En termes réels, ces taux d’intérêt domestiques devraient cependant baisser en prévision de la hausse future de l’inflation. Une telle politique entraînerait très probablement une dépréciation du dollar.

Un dollar plus faible freinerait certes les exportateurs étrangers, mais la demande américaine gonflée par la relance budgétaire devrait au moins en partie compenser cette baisse. Un dollar plus faible pourrait par ailleurs donner du répit aux étrangers endettés en dollars, estimés en totale par la BRI à 11,8 trillions de dollars. Il convient de rappeler qu'au début de cette décennie, plusieurs économies de marché émergentes avaient regretté que l'assouplissement monétaire agressif des économies avancées mette en péril leur stabilité financière car elles devenaient les destinataires d'importantes entrées de liquidités et, dans certains cas, ont instauré des contrôles de capitaux en réponse.

À mesure que la récession mondiale s'intensifie, le débat sur les politiques budgétaires devrait s'intensifier. Pour une petite économie ouverte, un assouplissement budgétaire agressif porté par le bilan de sa banque centrale semble une option peu viable compte tenu des tensions potentielles induites sur sa balance des paiements. L’initiative d’une relance budgétaire agressive, soutenue par la politique monétaire, devrait donc être la prérogative des grandes économies dotées du statut de monnaie de réserve. Il semble probable que les États-Unis puissent ouvrir cette voie, tandis que la zone euro serait à la traîne, conduisant les investisseurs en quête de valeur refuge à privilégier l'euro.

En 2008, l'euro avait culminé à près de 1,60 euro par rapport au dollar, la Réserve fédérale ayant procédé à un assouplissement plus agressif que la Banque centrale européenne. Cette fois, les dés sont plus susceptibles d'être jetés par les assouplissements fiscaux relatifs.

Michala Marcussen, Chef Economiste, Groupe Société Générale