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Un ralentissement du rythme de resserrement de la Fed se profile

Les arguments pour un ralentissement du rythme de resserrement de la Fed s'accumulent

Article publié dans L'AGEFI Hebdo du 3 novembre 2022
Par Michala MARCUSSEN, Chef Économiste du Groupe

Après avoir adopté un rythme de hausse des taux inédit depuis des décennies, les membres de la Réserve fédérale évaluent la nécessité de le ralentir.

Plusieurs arguments plaident en faveur d'un relâchement du resserrement monétaire. En premier lieu, les indicateurs avancés de l'économie américaine indiquent un ralentissement substantiel et le consensus prévoit désormais une croissance de seulement 0,4 % en 2023. En comparaison, le consensus prévoyait 2,5 % en 2023 avant l'invasion de l'Ukraine par la Russie. Les conditions financières se sont considérablement durcies, avec des retombées significatives au niveau mondial. Enfin, la politique monétaire se répercute sur l'économie réelle avec un décalage de 1 à 2 ans et un impact incertain. La Fed ne se contente pas de procéder à des hausses de taux agressives, elle procède à un resserrement quantitatif en réduisant sa détention d'obligations. Cela contribue à l'incertitude.

Les partisans de nouvelles hausses de taux agressives soulignent les résultats décevants obtenus jusqu'à présent pour maîtriser l'inflation et les marchés du travail toujours tendus. En septembre, l'inflation a atteint 8,2 % pour l'indice global et 6,6 % hors alimentation et énergie, ce qui est bien supérieur au niveau d'environ 2 % considéré par la Fed comme compatible avec la stabilité des prix. Le taux de chômage de septembre s'est établi à 3,5 %, bien en dessous des 4,5 % considérés par le Congressional Budget Office comme compatible avec le plein emploi. De plus, bien que les conditions financières se soient resserrées, l'indice des conditions financières, compilé par la Fed de Chicago, reste très légèrement négatif. Ces indicateurs n'ont pas atteint les niveaux historiquement associés à des conditions financières plus strictes que la moyenne. Enfin, ce camp note que le risque de récession pourrait bien être un prix à payer pour éviter un coût plus élevé à l'avenir si l'inflation s'installe.

En l'absence de détérioration brutale des conditions financières, ce débat dépend beaucoup des caractéristiques de l'inflation et du chômage. Ces deux indicateurs sont en retard sur le cycle économique. Par le passé, les États-Unis sont déjà entrés en récession à plusieurs reprises alors que le chômage était encore faible et l'inflation élevée. Les détails techniques ont une grande importance et ils pourraient bien pencher en faveur d'un ralentissement du rythme des hausses de taux.

Pour l'inflation, la récente stabilisation des prix de l'énergie, si elle se confirme, devrait contribuer à faire baisser l'inflation de manière significative. Les prix de l'essence au détail, à 3,76 $ le gallon, sont plus de 10 % au-dessus des niveaux observés il y a un an. En mars 2023, la contribution des prix de détail du gaz pourrait devenir négative en l'absence d'un nouveau choc important sur les prix. Un autre effet modérateur sur l'inflation provient du canal des stocks, plusieurs détaillants aux États-Unis ayant annoncé leur intention de les réduire. Cet effet pourrait devenir visible à l'approche des fêtes de fin d'année.

Le resserrement des conditions de prêt des banques devrait également freiner les prix de l’immobilier. Les loyers, tant celui de la résidence principale que l'équivalent occupé par le propriétaire, ont un poids d'un peu plus de 30 % dans l'IPC. Les prix de l'immobilier américain ont augmenté pendant la pandémie, mais la mesure clé des prix de l'immobilier S&P Case Shiller a récemment affiché une baisse mensuelle. Un tel point d'inflexion tend à devancer les composantes locatives de l'IPC d'environ un an. Avec un nouveau ralentissement attendu du logement, c'est un facteur additionnel de modération de l'inflation à venir.

En ce qui concerne le marché du travail, le rapport sur l'emploi du mois de septembre a fait apparaître un taux de chômage de seulement 3,5 %. Il ne fait aucun doute que les marchés du travail américains restent tendus, mais si l'on examine les données relatives aux ouvertures de postes et à la rotation de la main-d'œuvre (JOLTS), les premiers signes d'assouplissement apparaissent, le dernier rapport montrant une première diminution des ouvertures. Les données d'enquête montrent en outre que les entreprises réduisent leurs intentions d'embauche. Le PMI flash d'octobre a vu l'indice composite de l'emploi passer sous la barre des 50, seuil entre expansion et contraction, pour la première fois depuis juin 2020.

Compte tenu de ces arguments, le seuil de passage à un rythme de hausse plus lent pourrait bien être atteint prochainement, mais l'assouplissement effectif sera probablement beaucoup plus lent que celui observé au cours des dernières décennies.

  • Michala Marcussen

    Chef Économiste du Groupe et Directrice des Études économiques et sectorielles