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La soutenabilité de la dette et le débat sur l’inflation

Article publié dans L'AGEFI Hebdo du 28 avril 2022
Par Michala MARCUSSEN, Chef Économiste du Groupe

Dans son nouveau « Moniteur des finances publiques », le Fonds monétaire international (FMI) avertit les gouvernements que les récentes améliorations des ratios de la dette publique, découlant d’une inflation plus élevée, ne peuvent pas être considérées comme fiables dans un régime d’inflation durablement élevée et plus volatile. L’écart entre le taux d’intérêt payé sur la dette publique et la croissance économique est au cœur de cette préoccupation ; lorsque cet écart se resserre, la marge de manœuvre budgétaire est réduite et des problèmes de soutenabilité de la dette peuvent apparaître. Il convient donc d’examiner comment les arguments qui sous-tendent le débat sur l’inflation influencent à la fois la croissance et les taux d’intérêt.

En tête de liste des arguments en faveur d’un régime d’inflation durablement élevé figure la transition climatique, avec l’idée que les investissements dans les énergies renouvelables et les gains d’efficacité énergétique ne suivront pas un rythme suffisant pour compenser le sous-investissement dans les combustibles fossiles, ce qui maintiendra les prix de l’énergie à un niveau élevé. En outre, les technologies de décarbonation augmenteront la demande de métaux et de minéraux. Le changement climatique lui-même implique des modifications des systèmes météorologiques qui perturberont les principales chaînes d’approvisionnement et notamment la production alimentaire, ce qui entretiendra encore l’inflation. Combinés, ces facteurs réduiraient considérablement la croissance potentielle et comprimeraient probablement davantage le taux d’intérêt d’équilibre.

Dans un tel scénario, les finances publiques pourraient subir de nouvelles pressions pour protéger notamment les ménages les plus vulnérables des coûts énergétiques élevés. Un poids supplémentaire sur la croissance économique découlerait de l’abandon prématuré du stock de capital actuel, qui ne serait plus viable sous la pression de la transition climatique. La question est d’ailleurs de savoir si les investisseurs exigeraient des primes de risque plus élevées sur la dette souveraine.

Un déploiement plus rapide des investissements destinés à financer la transition, qu’ils soient publics ou privés, réduirait sans doute le risque d’un cocktail douloureux d’une inflation plus élevée et d’une croissance plus faible. Il en va de même pour les nouvelles technologies et les nouvelles habitudes de consommation dans une économie circulaire. Les taux d’intérêt réels d’équilibre devraient augmenter dans un tel scénario, mais avec des primes de risque sur la dette publique en baisse.

Le vieillissement de la population est à ajouter à la liste des arguments en faveur d’un régime d’inflation durablement plus élevé, en raison notamment de la diminution de la force de main-d’œuvre et de l’augmentation de la demande de services de soins. La hausse des dépenses liées au vieillissement mettrait une pression supplémentaire sur les finances publiques. Les taux d’intérêt d’équilibre seraient soumis à des forces opposées, la diminution de la productivité les poussant à la baisse et le tarissement de l’épargne privée les poussant à la hausse.

Les pressions sociales ont également fait leur entrée dans le débat sur l’inflation. Les systèmes de protection sociale n’en sont toutefois pas une cause évidente et il a été démontré que des politiques économiques bien conçues, favorisant l’éducation et des politiques actives du marché du travail, réduisent les inégalités sans provoquer une accélération de l’inflation.

Enfin, on trouve les arguments du protectionnisme et de la démondialisation comme sources d’une inflation plus élevée, avec une érosion de la croissance potentielle. L’impact sur le taux d’équilibre est baissier à travers le canal de la productivité, mais pourrait bien être haussier du fait de la réduction de l’épargne dans les principales économies émergentes.

Compte tenu de ces nombreux arguments, il n’est pas difficile de comprendre pourquoi le FMI exhorte les gouvernements à être attentifs aux impacts réels qui découlent des différentes dimensions du débat sur l’inflation. Le fait que la Réserve fédérale et la Banque centrale européenne annoncent une normalisation de la politique monétaire dans la conjoncture actuelle ne constitue pas, à date, un problème pour la viabilité de la dette, avec des taux réels encore négatifs et une croissance réelle positive. La question est de savoir comment les banques centrales réagiraient à une situation d’inflation encore élevée mais avec une croissance plus faible. Un retour à l’objectif de l’offre de crédit plutôt que le prix du crédit pourrait être une solution plus acceptable pour lutter contre l’inflation sans exacerber les risques de soutenabilité de la dette publique.

  • Michala Marcussen

    Chef Économiste du Groupe et Directrice des Études économiques et sectorielles