Nos experts dans la presse
Publié le 10/11/2021

Une main verte visible est nécessaire !

Un prix minimal mondial du carbone est au centre des discussions de la COP26. Même si un tel instrument serait très bienvenu, ce ne serait pas la panacée pour le financement de la transition climatique.

Théoriquement, on peut penser qu’un prix du CO2 correctement fixé conduirait à une décarbonisation efficace grâce aux mécanismes de marché. Cette idée est néanmoins remise en question dans la réalité et il faudra une action politique déterminée, tant au niveau national qu’international.

Aujourd’hui, les prix du carbone se présentent sous plusieurs formes, mais le défi commun est de fixer le bon prix et d’éviter des fuites.

Le niveau du prix du CO2 peut être considéré comme un compteur de vitesse, qui détermine à la fois la rapidité avec laquelle les producteurs et les consommateurs se tournent vers des alternatives à faible teneur en carbone et modifient leurs habitudes de consommation, et celle avec laquelle une partie du stock de capital actuel devient obsolète et demande de nouveaux investissements.

Lorsque les industries émettrices déplacent leur production en dehors du champ d’application du prix du carbone et obtiennent ainsi un avantage concurrentiel déloyal, la théorie recommande la mise en place de mécanismes d’ajustement aux frontières, par exemple une taxe carbone.

Idéalement, au niveau mondial, tous les pays seraient incités à appliquer un prix du carbone pour ainsi éviter l’apparition de telles barrières commerciales.
Pour éviter un choc négatif du côté de l’offre, qu’il soit dû à une contraction du stock de capital ou à des barrières commerciales, il faut agir sur plusieurs fronts. Côté financement, l’idée d’un spread carbone, contribuant à orienter les flux de capitaux vers les nouveaux investissements, fait partie intégrante de la littérature.

Il convient également de noter qu’à mesure que les entreprises s’engagent à réduire leurs émissions, nombre d’entre elles adoptent des prix internes du CO2 avec des effets similaires, qu’il s’agisse d’éliminer le stock de capital non conforme ou de rendre les chaînes d’approvisionnement plus écologiques. Les entreprises qui ne le font pas risquent d’être isolées des chaînes d’approvisionnement, des financements et, en bout de chaîne, des clients finaux.

Ces mécanismes de marché liés à la tarification du carbone fonctionneront certainement, mais plusieurs problèmes se posent et nécessitent une action politique déterminée. En tête de liste figure la crainte que le prix du CO2 ne frappe plus durement les ménages à faibles revenus. En outre, si de nouveaux emplois sont amenés à être créés dans les nouveaux secteurs décarbonés, d’autres seront perdus, les travailleurs peu qualifiés étant les plus touchés. Par ailleurs, les mécanismes de marché sans autre instrument incitatif feront face à des frictions. Par exemple, la motivation des propriétaires à isoler un immeuble pour permettre à leurs locataires d’économiser sur la facture énergétique. Ensuite, il y a le défi de financer suffisamment la recherche et développement pour faire progresser les nouvelles technologies et s’assurer que celles-ci peuvent être largement adoptées. Et enfin, il y a les défis liés aux chocs de prix relatifs que la décarbonisation va inévitablement entraîner.

Il existe aussi un risque important de voir apparaître une fracture verte entre les économies avancées et émergentes. Cette fracture pourrait devenir une source de tensions géopolitiques et entraîner d’importants flux migratoires.

Plus on accélère le réglage des prix du carbone, plus ces défis seront importants. A l’inverse, aller trop lentement risque non seulement d’entraîner une transition énergétique plus désordonnée plus tard, mais aussi de causer des dommages irréversibles à l’environnement.

Les transferts et les investissements publics sont une réponse évidente à bon nombre de ces défis, mais même si les revenus issus de la taxation du CO2 peuvent être redistribués, cela pourrait ne pas suffire à empêcher les finances publiques de subir une pression importante compte tenu des nombreux défis énumérés, et notamment dans les économies émergentes. En outre, l’hypothèse selon laquelle le coût du financement public restera éternellement bas, même dans les économies avancées, est loin d’être certaine.

L’appel à des politiques publiques bien conçues, répondant aux problèmes structurels des économies et bien coordonnées au niveau international, est souvent entendu, mais une main verte visible est nécessaire pour huiler les mécanismes de marché de la tarification du carbone et ainsi assurer une transition moins perturbante.

Michala Marcussen, Chef Economiste du Groupe et Directrice des Etudes économiques et sectorielles